Panorama de l’électricité en Outre-Mer
Crédit photo: Salim Shadid
A première vue, la situation sur le plan de la production d’électricité en Outre-Mer est plutôt encourageante :
– la production électrique par habitant y est deux fois moins importante qu’en métropole (4 MWh par an et par habitant, contre 8,9 MWh), en partie car les usages industriels sont moins développés, ainsi que les besoins de chauffage.
– 27% de l’énergie produite y est d’origine renouvelable, soit nettement plus qu’en Métropole, où les énergies renouvelables représentent 14,7% de la production livrée.
Pour autant, ces données masquent une forte dépendance aux ressources fossiles et une détérioration très probable de la situation, si rien n’est fait : le potentiel de développement des énergies renouvelables est de plus en plus difficile à mettre en œuvre, alors que la demande continue de croître rapidement.
Le recours intensif aux énergies fossiles est une menace pour le climat et les économies ultramarines
Si 27% de l’électricité est d’origine renouvelable, 73% provient des produits pétroliers et du charbon.
Cette prédominance des énergies fossiles est très génératrice de gaz à effets de serre. Elle est aussi préjudiciable en termes de dépendance sur les approvisionnements et de détérioration de la balance commerciale des territoires d’Outre-Mer.
L’Outre-Mer contribue fortement aux émissions de GES de la France :
Comme détaillé dans un précédent billet (lien), l’Outre-Mer contribue pour une part grandissante aux émissions de gaz à effet de serre de la France. Alors que la Métropole réussit à diminuer progressivement ses émissions, l’Outre-Mer affiche une augmentation régulière. Alors qu’en 1990, l’Outre-Mer représentait 1,65% des émissions totales du pays, aujourd’hui il en représente 3,5%, soit exactement le poids de sa population au sein de la population française.
D’où l’importance et l’urgence à faire diminuer ces émissions, en jouant sur les deux principaux postes que sont les transports et la production d’électricité.
Les économies régionales d’Outre-Mer sont très dépendantes du pétrole :
La facture pétrolière pèse pour 5,8% de la valeur ajoutée des quatre DOM, soit presque deux fois plus qu’en Métropole (3,3%). De même, elle représente 18,6% des importations de ces territoires, contre 10,9% pour l’ensemble de la France.*Pour tenir compte de la centralisation du raffinage par la SARA en Martinique, nous avons retenu comme indicateur le solde net de la facture pétrolière dans les DOM, et défalqué ces transferts du montant total des importations de la Martinique.
Ces données démontrent la très grande sensibilité économique de ces territoires à une variation des prix des énergies fossiles, qui a priori devraient augmenter à long terme et représenter une grande part de la valeur ajoutée des territoires. Cela peut expliquer également pourquoi les évènements de l’hiver 2008-2009 ont débuté par la forte hausse des prix à la pompe, en Guyane.
On observe que la Réunion est plus résiliente que les autres territoires (la facture pétrolière représente 4,2% du PIB). A l’opposé, la Martinique et la Guadeloupe, qui produisent la quasi-totalité de leur électricité à partir de fioul, consacrent 7,5% de leur PIB à importer des produits pétroliers.
Jusqu’à présent, si la situation reste socialement acceptable par les populations ultramarines, c’est pour la simple et bonne raison que la facture pétrolière est en grande partie payée par EDF, et par ricochet financée par tous les clients d’EDF via la Contribution aux charges de service public. Cela montre l’importance de cette péréquation tarifaire et de la nécessité de la préserver pour ne pas faire peser sur ces territoires l’ensemble du fardeau et les fragiliser encore davantage économiquement.
Pour autant, les territoires d’Outre-Mer doivent redoubler d’efforts pour atténuer le poids des énergies fossiles dans leur économie, aussi bien pour pérenniser le mécanisme de compensation que pour améliorer leur capacité de résilience face à un choc pétrolier.
Le potentiel de développement des énergies renouvelables doit se concrétiser en parallèle d’une plus grande efficacité énergétique
La grande disparité d’usage des ENR entre les territoires est liée à la production hydraulique
Quand la Guyane produit 71,5% de son électricité à partir d’énergies renouvelables, essentiellement grâce au barrage de Petit-Saut, la Martinique n’atteint que 6,3% et la Guadeloupe 15,6%.
La production actuelle en ENR est due essentiellement à l’énergie hydraulique, qui fournit la quasi-totalité de l’électricité d’origine renouvelable produite en Guyane, en Polynésie et en Nouvelle-Calédonie. Or, à l’instar de la Métropole, les marges de progression dans l’électricité hydraulique sont désormais modestes et avec un fort impact sur l’environnement, ce qui impose de baser la progression future des énergies renouvelables sur les autres sources de production d’électricité verte.
Les autres sources d’énergie renouvelables ont un potentiel insuffisamment exploité
La production d’énergie solaire a surtout été développée dans les quatre DOM, où elle mériterait d’être relancée de nouveau. Elle devrait également être développée en Nouvelle Calédonie et Polynésie.
Jusqu’à la mise en place du moratoire de 2010, on a assisté à une croissance très soutenue des installations photovoltaïques, notamment à la Réunion. A tel point que ce département a déjà dépassé son objectif de 30% de capacité intermittente raccordée au réseau, en partie grâce au solaire.
Depuis le moratoire, l’équipement en PV ralentit fortement. Pourtant, la poursuite du développement de ces installations est à soutenir, y compris lorsque le seuil des 30% est dépassé. En effet, les productions photovoltaïque et éolienne peuvent être anticipées, en fonction des prévisions météorologiques. De plus, même aujourd’hui, le seuil des 30% n’est atteint que quelques jours par an, quand la demande est faible et les conditions météorologiques très favorables. Enfin, les perspectives d’installation de capacités centralisées de stockage sont à même de répondre en partie à ce problème d’intermittence.
L’éolien mériterait d’être renforcé, tout comme l’usage de la bagasse, en Martinique notamment, en attendant le déploiement éventuel d’autres sources d’énergie, telles que l’énergie thermique des mers.
Mais tout cela n’a de sens qu’à condition que la consommation d’électricité soit maîtrisée
Le potentiel de développement des moyens de production renouvelables n’est pas non plus infini. Cette solution n’est donc pas tenable si la demande continue de croître sans relâche, à un rythme plus rapide que la mise en place de productions nouvelles.
En termes de volume d’énergie livrée par habitant, on constate une certaine homogénéité, en-dessous de 4 MWh par an et par habitant. Seule la Nouvelle-Calédonie fait exception, due aux besoins en électricité requis par l’industrie minière.
Dans tous les autres territoires, la demande est celle des ménages, des entreprises et des administrations.
Or, si elle demeure raisonnable comparée à la métropole, cette consommation par habitant reste toujours orientée fortement à la hausse, en dépit de toutes les actions de maîtrise de la demande en énergie menées jusqu’à présent par l’ADEME, l’EDF et les collectivités locales.
Entre 2002 et 2012, la consommation globale des territoires d’Outre-Mer a progressé de 3,0% chaque année, alors que la consommation métropolitaine a crû de 1,17% par année.
Cette forte progression est le signe d’un rattrapage en termes d’équipements, notamment de climatisation, qui est le principal poste de consommation, pour tous les usagers. Comme ailleurs, le client est en demande d’un confort accru, et est nettement moins sensible à sa consommation électrique qu’à celle, par exemple, de son véhicule. Or si les usagers n’ont aucune idée de ce que consomme chaque type d’appareil, il est difficile de les convaincre de moins consommer.
Quels outils, quelles mesures mettre en place pour améliorer la situation ?
– Informer les usagers
La première action à mener est d’informer les usagers (entreprises, administrations, ménages) de la situation, et de ses conséquences en termes climatiques et économiques. L’information est un préalable à la responsabilisation et à l’action de chacun.
– Fixer des objectifs par territoire
Les pouvoirs publics doivent annoncer des objectifs de réduction de la consommation et de production renouvelables qui soient à la fois ambitieux et atteignables, les diffuser pour qu’ils soient intégrés et repris par tout un chacun comme étant un objectif politique commun. Donner un sens à cet engagement.
– Renforcer les financements d’opérations de MDE et d’équipement renouvelable
Cela pourrait prendre la forme par exemple d’une hausse des taxes régionales sur l’électricité, ou l’affectation d’une partie de la taxe sur les produits pétroliers.
Les opérations potentielles sont connues et pour la plupart déjà mises en œuvre : équipement en chauffe-eau-solaire thermique, labellisation des acteurs qui réalisent des efforts, soutien à l’équipement de panneaux photovoltaïques pour une alimentation individuelle de façon à rendre le Kwh d’origine renouvelable moins cher que le prix du réseau.
– Modifier la grille tarifaire
Une meilleure représentation des coûts de production serait le moyen le plus efficace de donner un signal prix incitatif. On appliquerait en quelque sorte le principe de la tarification progressive de l’énergie préconisée dans la loi Brottes, avec une énergie bon marché pour les premier kWh et un prix plus élevé pour les consommations importantes. Les habilitations dans le domaine de l’énergie accordées aux différents territoires permettraient déjà d’appliquer une telle préconisation.
– Favoriser les équipements économes
Favoriser l’importation d’équipement économes (ex les climatiseurs) par un système de bonus-malus.
– Autoriser un taux de pénétration des équipements intermittents plus élevé
La possibilité de déconnecter les productions intermittentes lorsqu’elles représentent plus de 30% de la puissance du réseau permet déjà de lever ces soucis liés à l’intermittence de la production. A la Réunion, cette situation ne concerne d’ailleurs déjà que quelques heures par an, lorsque la demande est faible et les conditions favorables à une pleine production éolienne et photovoltaïque. Le découplage du réseau ne pèse donc que peu sur l’équilibre économique des centrales concernées.
Les marges de progression sont donc encore très importantes en terme d’équipement renouvelable. De plus, la possibilité de prévoir les productions renouvelables à court terme tend à conférer aux énergies renouvelables un caractère de moins en moins intermittent, et donc plaide pour une augmentation progressive du seuil d’intermittence autorisé sur le réseau.
Benoit Chauvin pour Objectif Transition