Les Antilles vont rester habitables, à condition d’adapter nos modes de vie

Crédit photo : Ministère de la défense, Pays-Bas

Suite au passage d’Irma, puis de José et Maria, nous sommes tous encore sous le choc, fatigués, à parer à l’essentiel. Il est sans doute un peu tôt pour analyser les conséquences à long terme de ce cyclone dévastateur. Néanmoins, je souhaite rebondir sur les propos de Nicolas Hulot qui, invité du JT de France2 du 8 septembre, a posé cette question radicale : « les Antilles vont-elle rester habitables ? ».

A court, moyen et long terme, bien sûr, les îles des Antilles sont et resteront habitables, et habitées. Le fond de la question, volontairement provocatrice pour interpeller, est de savoir dans quelles conditions, à quel prix, et quelles politiques publiques mettre en place pour continuer à y vivre, notamment en faveur des populations les plus vulnérables.

Concernant la fréquence des phénomènes cycloniques, le débat a encore lieu de savoir s’il existe des cycles pluri-décennaux, car avant les années 70 et les premiers satellites météo, nous ne comptabilisions pas les phénomènes qui ne touchaient pas de terre émergées. Pour autant, plus de la moitié des quinze ouragans les plus violents au moment où ils ont touché terre ont eu lieu dans les dix dernières années. Cela a de quoi nous interpeller ! Et rien que pour ce début de saison cyclonique dans le bassin Atlantique, on a comptabilisé deux cyclones de catégorie 4 (Harvey puis José) et deux de catégorie 5 (Irma puis Maria), ces deux derniers pouvant être classés en catégorie 6 si elle existait !
L’observation populaire rejoint les prévisions avancées par les météorologues, comme Jean Jouzel, selon laquelle la fréquence des événements n’est peut-être pas accrue, mais la puissance des phénomènes est plus importante. En effet, un degré de réchauffement climatique, et notamment des eaux de surface, augmente de 7% la quantité d’eau contenue dans l’atmosphère, et décuple la puissance des phénomènes cycloniques.

Pour en revenir aux dégâts causés par un ouragan tel Irma, il faut se rendre compte qu’un nombre important de bâtiments ont été détruits ou fragilisés à Saint-Barthélemy, que Saint-Martin a été encore plus dévastée, et que la population a été profondément traumatisée. Les conséquences sont beaucoup plus importantes que lors du passage de Luis en 1995, d’une part car le cyclone Irma était plus puissant et comportait en son sein des tornades localisées, mais aussi car la population et les activités ont fortement augmenté en 20 ans.
Financièrement parlant, on parle en première approche, selon les chiffres avancés par la Caisse Centrale de Réassurances, de 1,2 Milliard d’euros de dégâts. Cela ne concerne que les dommages aux biens et les pertes d’exploitation des personnes et entreprises assurées. Or, le taux d’assurance est d’un peu plus de 60% à St-Barthélemy, et d’environ 40% à St-Martin. Autant dire qu’une grande partie de dégâts ne sont pas pris en compte parmi ces 1,2 Md€.
Considérant que les dégâts les plus importants sont assurés, je prends en première approximation l’hypothèse d’un montant total de dégâts de 2 milliards d’euros. Cette somme ne tient bien sûr pas compte du fait que les économies des deux îles tourneront au ralenti le temps de retrouver une situation plus équilibrée.

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Crédit photo : Ministère de la défense, Pays-Bas

Mathématiquement parlant toujours, dans l’hypothèse où on observerait un cyclone type Irma tous les 20 ans (Luis ayant eu lieu il y a 22 ans, et Dona 35 ans auparavant), cela signifie que l’économie locale doit être en mesure de « provisionner » l’équivalent de 100 millions d’euros chaque année pour faire face aux dégâts d’un cyclone de cette ampleur. Le PIB des deux territoires réunis étant de l’ordre de 900 M€ par an, cette provision représente plus de 10% de la richesse produite localement, qui devrait donc être mobilisée chaque année pour faire face à cet aléa climatique. C’est énorme. Sans compter les dégâts de cyclones intermédiaires de puissance plus modérée, les aléas autres que cycloniques et le fait qu’avec le changement climatique la fréquence de phénomènes puissants va aller en augmentant, donc la durée de provision sera raccourcie.

Bien sûr, ces 10% ne sont pas totalement pris en charge par les acteurs locaux, et sont mutualisés par l’ensemble de la population française, via les assurances et l’intervention du fonds de secours pour l’Outre-Mer. Et c’est normal. Mais jusqu’à quand et dans quelles conditions ces solidarités légitimes vont pouvoir continuer de jouer ?

La question qui se pose n’est donc pas de savoir si ces territoires sont habitables ou non, mais si on peut continuer d’y vivre « as usual », et quelles adaptations on devra mettre en œuvre pour limiter les risques et les conséquences pour les territoires d’Outre-Mer concernés par l’alea cyclonique, et notamment pour assurer la protection des personnes les plus vulnérables.

Jusqu’à quand pourra-t-on densifier des territoires soumis au risque cyclonique mais aussi au risque sismique ? Peut-on continuer de construire en bordure littorale, dans les zones inondables ou sur les crêtes des mornes sans tenir compte des risques encourus ? Peut-on accepter encore des architectures inadaptées aux risques ? Quelles décisions (urbanisme, assurance, occupation du domaine public, transports, organisationnelles…) peut-on adopter pour modifier les comportements, limiter les dégâts potentiels et construire un territoire résilient ? Nul doute que ces questions vont alimenter la réflexion au sein de nos sociétés et de nos élus.

Le passage d’Irma, puis celui de Maria sonnent comme une alerte pour nous tous. Ils nous imposent de prendre en compte les conséquences du changement climatique et de nous y adapter rapidement. Ces deux cyclones ont touché directement les habitants de la Caraïbe, dont des territoires qui ont payé un lourd tribut (Barbuda, Saint-Barthélemy, Saint-Martin, Saint-Marteen, îles Vierges Britanniques, Dominique, îles Vierges Américaines, Porto-Rico). J’espère qu’ils contribueront aussi à interpeller les habitants de Métropole, d’Europe et des Etats-Unis, et à accélérer les politiques d’atténuation du changement climatique.

Oui, les Antilles vont rester habitables, à condition d’agir amplement contre le changement climatique et, au niveau local, d’adapter nos modes de vie à ce nouveau contexte climatique.

Benoît Chauvin
Saint-Barthélemy, le 20 septembre 2017

texte publié initialement sur Benoit Chauvin, Environnement et politique en Outre-Mer